Le Livre de Thot, une écriture du monde
Derrière les images du Tarot d’Étteilla se cache un projet ambitieux : retrouver la langue sacrée de la création.
Cette idée, Étteilla la puise dans la cabale, science mystique qui voit dans chaque lettre, chaque nombre et chaque symbole une étincelle du Verbe originel.
« Le Livre de Thot est la clef de toutes les sciences divines. » Étteilla, Cours théoriques et pratiques du Livre de Thot, 1790
Dans cette perspective, le Tarot n’est plus un simple jeu : il devient un alphabet cosmique, où les arcanes majeurs sont des lettres, les mineurs des combinaisons, et les tirages des phrases révélant la pensée du monde.
Étteilla et la tradition cabalistique
Au XVIIIᵉ siècle, la cabale (ou kabbale) fascine les occultistes européens. Étteilla, comme ses contemporains Court de Gébelin ou Louis-Claude de Saint-Martin, y voit le chaînon manquant entre les religions anciennes, l’astrologie et les mathématiques divines.
Mais il s’en distingue : là où la cabale hébraïque reste théologique, Étteilla veut en faire une science universelle, accessible à tous par l’image et le symbole.
Son Livre de Thot transpose donc :
- les 10 Séphiroth (émanations divines) dans les 10 nombres fondamentaux du tarot ;
- les 22 lettres de l’alphabet sacré dans les 22 arcanes majeurs ;
- et les 4 mondes de la cabale dans les 4 éléments du tarot (Feu, Eau, Air, Terre).
Les dix nombres et les dix Séphiroth
La cabale enseigne que le monde a été créé à travers dix « nombres vivants », les Séphiroth, qui forment l’Arbre de Vie.
Étteilla reprend ce schéma : ses dix premières cartes majeures suivent une progression comparable, de l’énergie pure à la forme manifestée.
| Séphira | Principe | Correspondance symbolique (tarot d’Étteilla) |
|---|---|---|
| Kether | Couronne | 1 – Le Chaos : source primordiale |
| Chokmah | Sagesse | 2 – Maçonnerie d’Hiram : structure divine |
| Binah | Intelligence | 3 – Ordre des Mopses : pensée organisée |
| Chesed | Miséricorde | 4 – La Piscine : purification et compassion |
| Geburah | Force | 5 – L’Évangile : jugement et rayonnement |
| Tiphereth | Le Beauté | 6 – Le Ciel : harmonie cosmique |
| Netzach | Victoire | 7 – Le Serpent : désir et dualité |
| Hod | Gloire | 8 – Ève : connaissance et pouvoir créateur |
| Yesod | Fondement | 9 – Salomon : sagesse incarnée |
| Malkuth | Royaume | 10 – L’Ange de l’Apocalypse : matérialisation du divin |
Cette architecture relie la théologie de la cabale et la cosmologie d’Étteilla : les cartes deviennent des étapes de la descente de l’esprit dans la matière, et du retour de la matière vers la lumière.
Les 22 arcanes et les lettres sacrées
Étteilla voyait dans les 22 arcanes majeurs du tarot le reflet des 22 lettres de l’alphabet hébraïque, considérées par la cabale comme les « formes sonores de la création ». Chaque carte est donc une vibration, un « mot » du langage divin. L’ordre des cartes n’est pas aléatoire : il suit la progression du Verbe depuis l’émanation initiale (Le Chaos) jusqu’à la transmutation spirituelle finale.
Cette correspondance sera plus tard reprise et développée par Éliphas Lévi dans son ouvrage Dogme et rituel de la haute magie, 1861, puis par la Golden Dawn, qui feront du tarot d’Étteilla une véritable grammaire initiatique.
Les quatre mondes de la cabale et les quatre éléments
Dans la cabale, l’univers se déploie en quatre plans ou « mondes » :
- Atziluth – le monde divin (Feu)
- Briah – le monde de la création (Eau)
- Yetzirah – le monde de la formation (Air)
- Assiah – le monde de l’action (Terre)
Étteilla retrouve exactement ces quatre niveaux dans la structure de son tarot :
- Bâtons = Feu : volonté créatrice (Atziluth)
- Coupes = Eau : inspiration et émotions (Briah)
- Épées = Air : intellect et communication (Yetzirah)
- Deniers = Terre : matérialisation et œuvre concrète (Assiah)
Le tarot devient ainsi l’Arbre de Vie complet, où chaque carte appartient à un monde, une énergie et une loi.
Voir également l’article Les quatre éléments dans le Tarot d’Étteilla : miroir de la Nature
Une science de la correspondance
Étteilla ne pratiquait pas la cabale comme une religion, mais comme une langue universelle, permettant de relier entre elles toutes les traditions.
« Tout est signe, et tout signe parle de la Nature. » Étteilla, Cours théoriques et pratiques du Livre de Thot
Pour lui, la cabale, l’astrologie et les éléments ne sont pas des systèmes séparés, mais trois lectures d’une même vérité : celle des correspondances entre le ciel, la terre et l’homme.
C’est pourquoi son tarot reste un outil de réconciliation symbolique : il unit la science et la foi, la raison et l’Intuition, la lettre et l’image.
Conclusion : la parole cachée des cartes
Lire le tarot d’Étteilla, c’est donc parler la langue du monde. Chaque carte devient un signe vivant, une syllabe du Verbe universel. Et lorsque le tirage s’anime, ce n’est pas le hasard qui répond, mais la mémoire même du cosmos.
Le Livre de Thot n’est pas un livre qu’on lit : c’est un livre qui nous lit.


