Le Tarot d’Étteilla intrigue dès les premières cartes :
- Pourquoi la carte numéro 4 correspond-elle au 2ème jour de la création ?
- Pourquoi la carte numéro 3 renvoie-t-elle au 3ème jour, mais la numéro 2 au 1er jour ?
- Et pourquoi certaines cartes ne comportent-elles pas de “troisième nombre” ?
Ces décalages ne sont pas des erreurs. Ils reflètent au contraire une construction très volontaire : celle du Livre de Thot, que Jean-Baptiste Alliette dit avoir tenté de restaurer.
Dans cet article, nous expliquons simplement :
- Pourquoi les numéros des cartes ne correspondent pas aux jours de la Genèse,
- Comment fonctionnent les différentes numérotations,
- Et surtout : quel est l’ordre réel de la création selon Étteilla, feuillet après feuillet.
Toutes ses explications sont tirés des propres écrits d’Aliette, consultables dans la bibliographie.
L’ordre des cartes d’Étteilla : un système à trois niveaux
Pour comprendre la logique d’Étteilla, il faut distinguer trois numérotations :
- Le numéro du feuillet (numéro de la carte) : c’est l’ordre des cartes dans le Tarot d’Étteilla : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8…
- Le numéro du jour de la création : il renvoie à un jour de la Genèse, mais il ne détermine pas le numéro de la carte.
- Le numéro de l’élément
Chez Étteilla, voici les correspondances des éléments :
- 1 = Eau
- 2 = Feu
- 3 = Air
- 4 = Terre
Ces trois systèmes se superposent sans se confondre. C’est pourquoi une carte portant le numéro 4 peut très bien représenter le 2ème jour de la création.
L’ordre des jours de la création selon Étteilla
1 – 2 – 4 – 3 – 6 – 7 – 5 – 8
Pour y voir clair, voici une lecture pédagogique, dans l’ordre des jours de la création, en réintégrant les descriptions d’Étteilla feuillet par feuillet.

Chaos – Jour 0 — Feuillet numéro 1 — Origine absolue
Le premier feuillet (souvent appelé « Chaos » chez Étteilla) représente :
- l’état primordial avant toute distinction,
- la matière informe,
- le potentiel pur d’où tout procède.
Il ne renvoie pas à un jour de la création, car il précède la Genèse. Pour Étteilla, c’est l’allégorie première, la scène d’ouverture du Livre de Thot. Il ne porte pas d’élément : c’est l’origine de tous les éléments.

Maçonnerie d’Hiram – – 1er jour — Feuillet numéro 2 — Élément : Feu (2)
Le deuxième feuillet illustre :
- la naissance de la lumière,
- le moment où le jour et la nuit sont séparés,
- l’apparition du principe igné.
Étteilla y voit le Feu, deuxième élément, symbole de la lumière primordiale.
Le Soleil n’est pas ici l’astre céleste du quatrième jour, mais l’allégorie antique de la clarté première.

La Piscine – Jour 2 — Feuillet numéro 4 — Élément : Air (3)
Le quatrième feuillet représente :
- « l’étendue » du 2ème jour de la Genèse,
- la séparation entre les eaux d’en haut et d’en bas,
- et l’air, troisième élément.
L’allégorie visible est celle des étoiles, non parce qu’elles furent créées ce jour-là, mais parce que les cartiers avaient déplacé les symboles, et qu’Étteilla tente de restaurer l’allégorie primitive.
Le feuillet incarne donc l’Air, la zone de séparation et d’expansion.

L’Ordre des Mopses – Jour 3 — Feuillet numéro 3 — Élément : Eau (1)
Le troisième feuillet correspond au jour où :
- les eaux se rassemblent,
- le sec apparaît,
- la vie végétale naît.
La Lune symbolise ici l’humide, le mouvement interne des eaux, et porte le nombre 1 = Eau, premier élément.

Le Ciel – Jour 4 — Feuillet numéro 6
Le sixième feuillet, dit Étteilla, porte un « faux hiéroglyphe d’une impératrice » ajouté par les cartiers.
À l’origine, ce feuillet représentait :
- le Zodiaque,
- les couleurs primordiales (blanc, noir, rouge, puis les sept couleurs),
- et la mise en ordre du ciel.
Il n’a pas de « troisième nombre » car il ne correspond à aucun élément. Il représente le cosmos structuré, la mécanique céleste.

Le Serpent – Jour 5 — Feuillet numéro 7
Le septième feuillet symbolise :
- l’apparition des animaux volatiles,
- l’apparition des animaux aquatiques.
Étteilla note que cette carte est mal illustrée par un empereur, mais il conserve l’allégorie telle qu’elle circulait chez les cartiers.
Ce feuillet n’introduit aucun élément supplémentaire : l’air et l’eau ont déjà leurs feuillets attitrés.

L’Évangile – Jour 6 — Feuillet numéro 5 — Élément : Terre (4)
Le cinquième feuillet est consacré à la création de l’homme : « Dieu fit l’homme à son image ».
Ce feuillet porte l’élément 4 = Terre, car la matière humaine représente pour Étteilla la perfection de l’élément terrestre.

Ève – Jour symbolique — Feuillet numéro 8
Comme dans la Genèse, le jour 7 n’a pas de feuillet propre. Par contre le feuillet numéro 8 est un jour symbolique.
Pour Étteilla, le huitième feuillet représente quelque chose de fondamental :
- le monde achevé,
- l’homme placé dans un jardin parfait,
- un état Fixe, sans mouvement,
- un macrocosme ordonné.
L’allégorie présente onze cercles, symboles hermétiques expliqués par la lecture du Pimandre.
Ce feuillet n’a qu’un seul nombre, comme le premier feuillet : il marque la clôture du cycle.
Pourquoi cet ordre ne correspond-il pas à l’ordre des cartes ?
Si l’ordre des cartes d’Étteilla semble déroutant, c’est parce qu’il ne répond pas aux attentes d’un lecteur moderne. Nous cherchons spontanément une narration continue, un enchaînement logique, un fil chronologique. Étteilla, lui, travaille sur un autre plan. Son Tarot ne raconte pas une histoire : il tente de recomposer un livre perdu, un ensemble de feuillets dispersés qu’il attribue à l’antique sagesse de Thot.
Dans ce système, les numéros des cartes ne représentent pas l’ordre des jours de la création, mais l’ordre des feuillets dans ce Livre de Thot reconstruit. Il s’agit d’une pagination symbolique, celle qu’Étteilla estime avoir retrouvée à travers les restes altérés par les cartiers. Le numéro gravé sur la carte n’est donc pas un rang cosmologique : c’est un numéro d’archive, un renvoi au feuillet originel dont la carte n’est que l’ombre.
Les jours de la création, en revanche, forment un tout autre ensemble. Ils ne donnent pas la structure du Tarot, mais offrent des correspondances entre ces feuillets restaurés et le récit biblique. Ils servent de passerelle, de clé comparative, permettant de faire dialoguer la Genèse et les allégories égyptiennes. ce ne sont pas des chapitres : ce sont des miroirs.
Les quatre éléments constituent encore un troisième système. Étteilla ne reprend ni l’ordre grec ni l’ordre alchimique ; il établit une classification qui lui est propre. Elle répond à une logique interne, celle des nombres qu’il attribue à chaque élément : 1 = Eau, 2 = Feu, 3 = Air, 4 = Terre. Là encore, ces numéros ne correspondent ni aux jours ni aux cartes : ils appartiennent à un autre réseau de significations, comme une couche souterraine sur laquelle reposent les autres.
Quant aux allégories visibles, Soleil, Lune, Étoile, Empereur, Impératrice… Étteilla les manipule avec prudence. Certaines proviennent de traditions plus anciennes, mais beaucoup ont été, selon lui, modifiées ou arbitrairement ajoutées par les cartiers, ces artisans qui n’avaient pas conscience de manipuler des figures sacrées. Ce que nous voyons n’est pas toujours ce qui devrait être là. L’image n’est jamais prise pour preuve : elle est une trace, parfois précise, parfois trompeuse.
Ainsi, l’ordre primitif n’est ni biblique ni logique au sens narratif. Il n’est pas une suite d’événements, mais un ordre hermétique : celui d’un savoir compartimenté, codé, où chaque feuillet représente une science. L’un traite de la lumière première, un autre de l’humide, un autre du Zodiaque, un autre des couleurs, un autre de l’homme parfait. Ils ne s’enchaînent pas : ils se répondent.
Un regard symbolique, pas un verdict
C’est pourquoi le Tarot d’Étteilla ne doit jamais être lu comme une histoire, mais comme un système de correspondances où se tressent :
- la Genèse biblique,
- la philosophie naturelle du XVIIIᵉ siècle,
- l’astronomie ancienne,
- les traditions égyptiennes réinterprétées,
- et la volonté d’ordonner des symboles dispersés.
Étteilla :
- ne raconte pas le monde : il l’indexe.
- ne décrit pas la création : il en cartographie les principes.
- ne suit pas un récit : il assemble un cosmos hiéroglyphique où chaque carte est une porte, chaque nombre un signal, chaque feuillet une île dans l’archipel perdu du Livre de Thot.
Classés dans l’ordre des jours, les feuillets racontent une cosmogonie cohérente, mais les cartes elles-mêmes conservent l’ordre du Livre de Thot, que le cartomancien affirme avoir restauré.
À travers les systèmes astrologiques comme Évozen, ou les lectures traditionnelles, une chose reste constante : l’astrologie n’est pas un destin gravé, mais un miroir.
Et dans ce miroir, le tarot peut servir de loupe : il révèle les détails, les ombres, les élans cachés.
Conclusion : un tarot organisé comme un livre, pas comme un récit
Les signes astrologiques sont des archétypes en mouvement. Le tarot d’Étteilla, avec sa richesse symbolique, offre une lecture complémentaire, plus intuitive, plus incarnée.
Lire son Horoscope, c’est écouter le ciel.
Tirer une carte, c’est écouter son âme.
Et parfois, les deux se rejoignent.


