
Carte 3 : L’Ordre des Mopses
Sens droit :
- Mise en ordre fertile
- Transmission structurée, groupe initiatique
- Rigueur bénéfique, système porteur
Sens renversé :
- Obéissance aveugle, enfermement dans des règles mortes
- Ironie mal placée, cynisme
- Confusion entre vérité et satire
L’Ordre des Mopses : structure cachée et ironie sacrée
Après le Chaos (1) et la Maçonnerie d’Hiram (2), le Grand Étteilla propose un arcane aussi mystérieux que singulier : L’Ordre des Mopses. Cette carte semble dérouter par son nom, presque incongru, mais elle est porteuse d’un sens initiatique profond, parfois ironique, toujours chargé de symbolisme.
Les Mopses, un ordre réel et parodique
Le mot « Mopses » désigne un véritable ordre maçonnique du XVIIIe siècle : l’Ordre des Mopses, ou Ordre des Francs-Maçons de l’Ordre du Carlin. Fondé en Allemagne dans les années 1730, il s’agissait d’un ordre maçonnique mixte, ouvert notamment aux femmes catholiques exclues des loges traditionnelles.
Le carlin (mops en allemand) était leur emblème. L’ordre se voulait à la fois sérieux et parodique, mélangeant rituel initiatique, satire et inclusion sociale.
En plaçant cette carte si tôt dans le jeu, Étteilla rend hommage à un ordre ésotérique détourné, qui interroge les structures officielles tout en les mimant.
Il y a donc dans cette carte une double lecture :
- L’affirmation d’un ordre secret, réel ou symbolique
- Mais aussi une prise de recul, une distance critique sur les constructions humaines
Troisième jour de la Création
La carte 3 porte l’inscription : « Troisième jour de la Création », ce qui l’ancre dans le récit de la Genèse :
« Dieu dit : Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu, et que le sec paraisse. Et ce fut ainsi. » (Genèse 1:9)
C’est le jour où :
- La terre ferme émerge
- Les végétaux apparaissent
- Le monde acquiert forme et vie
Dans le cadre du tarot d’Étteilla, cette carte représente donc le moment où l’ordre devient fertile, où la structure permet l’émergence du vivant.
Après le chaos (1) et la pose des fondations (2), voici l’organisation structurée du vivant, à la fois visible (terre) et invisible (ordre).
Élément : Air
Étrangement, la carte 3 est associée à l’élément Air, contrairement à ce qu’on pourrait attendre (la Terre semble plus naturelle au vu du texte biblique).
Mais cette lecture a du sens :
- L’Air est l’élément de l’esprit, des idées structurées, de la transmission
- Il symbolise les lois invisibles, l’organisation mentale, la parole ordonnée
Dans ce sens, l’Ordre des Mopses est une mise en forme de l’invisible, un ordre intellectuel ou symbolique, plus qu’une structure matérielle.
Signe astrologique : Gémeaux
Comme précisé sur la carte, cette lame est en analogie avec les Gémeaux, pour plusieurs raisons :
- Signe mutable d’Air, double, communicant
- Maîtrisé par Mercure, planète de la parole et de l’esprit
- Capacité à jouer avec les rôles, les masques, les niveaux de lecture
Cela renforce l’idée que cette carte joue entre le sérieux et la satire, entre structure et souplesse, entre rituel et jeu.
Lecture de l’image : entre rêve et rituel
La carte 3 – L’Ordre des Mopses présente une iconographie plus riche qu’il n’y paraît au premier regard. On y voit :
Une lune qui émerge des nuages, haut dans le ciel, symbolisant la lumière indirecte, le règne de l’intuition, de l’invisible ou du secret. Elle n’éclaire pas comme le soleil : elle révèle en demi-teinte.
Les deux colonnes, ou pilastres, qui encadrent la scène font clairement référence à l’imagerie maçonnique : elles rappellent Jakin et Boaz, les piliers du Temple de Salomon.
En bas, une écrevisse bleue surgit d’un bassin ou d’un plan d’eau. C’est un symbole lunaire classique, que l’on retrouve aussi dans l’arcane XVIII du Tarot de Marseille. L’écrevisse est un animal ambigu, à la fois aquatique et terrestre, qui marche à reculons : elle évoque les profondeurs de l’inconscient, les mouvements indirects de l’âme.
À gauche et au pied de l’autel (selon les éditions), on distingue deux chiens, l’un attentif, et un autre endormi, enroulé sur lui-même, apaisé. Il incarne la soumission tranquille à l’ordre, la docilité rituelle, mais aussi peut-être une forme d’oubli ou de confiance passive. La présence de chien est sans doute une analogie au Carlin, emblème de l’ordre maçonnique parodique du même nom. Cela renvoie à l’idée d’ordre obéissant, mais aussi à une forme d’ironie initiatique : une obéissance déguisée, volontairement naïve ou symbolique.
L’ensemble de la scène donne l’impression d’un rituel nocturne, d’un ordre gardien de mystères, mais aussi teinté d’un climat de rêve, voire de somnambulisme sacré.
Cette carte montre un monde ordonné, mais non éveillé : un ordre qui opère dans les profondeurs, entre conscience et inconscient, entre le visible et l’ombre.
Jakin et Boaz : les deux colonnes du Temple
Origine biblique
Les deux colonnes apparaissent dans l’Ancien Testament, 1 Rois 7:21 :
« Il dressa les colonnes à l’entrée du portique du temple ; il appela celle de droite Jakin, et celle de gauche Boaz. »
Elles ont été érigées par Hiram de Tyr, architecte mandaté par le roi Salomon, pour décorer le portique du Temple.
- Jakin (ou Yakhin) : signifie « Il établira »
- Boaz (ou Bo‘az) : signifie « En lui est la force »
Elles marquent l’entrée du Temple de Salomon, soit le seuil entre le monde profane et l’espace sacré.
Symbolique profonde
Jakin (droite) : Force d’établissement, stabilité active, le principe solaire, masculin, yang
Boaz (gauche) : Puissance intérieure, réceptivité stable, le principe lunaire, féminin, yin
Elles incarnent la dualité structurante de l’univers :
- Jour / nuit
- Masculin / féminin
- Action / réception
- Colère / compassion
L’initié, en entrant symboliquement entre Jakin et Boaz, accepte de traverser cette dualité pour entrer dans l’unité sacrée.
Dans la franc-maçonnerie
Les colonnes sont centrales dans les rituels maçonniques :
- Elles apparaissent à l’entrée du Temple maçonnique
- Le passage entre elles symbolise le début du chemin initiatique
- On les retrouve souvent sur les tapis de loge, devant l’autel, ou dans les cartouches symboliques
Dans certains grades, les deux colonnes deviennent portails du monde intérieur, repères cosmiques, piliers de l’Ordre.
Dans le tarot
Dans le tarot
- Dans le Tarot de Marseille, elles apparaissent dans la Papesse (II) et Le Pape (V) : images de médiation entre les mondes.
- Dans les versions ésotériques du tarot égyptien, ou dans des variantes comme le Grand Étteilla, leur présence est parfois détournée ou stylisée (colonnes, tours, trônes symétriques).
Carte 3 – L’Ordre des Mopses, avec ses deux colonnes encadrant le chien ou la scène centrale, fait très probablement référence aux piliers Jakin et Boaz, mais dans une version moqueuse, ou inversée, comme une porte rituelle rendue accessible à tous (même un carlin !).
En synthèse
La carte 3 du Grand Étteilla, sous des dehors énigmatiques, pose une question essentielle :
- À quoi obéissons-nous ?
- Quels rituels gouvernent nos vies ?
- L’ordre que nous suivons est-il choisi ou hérité ?
C’est une carte qui invite à organiser sans rigidifier, à honorer la structure sans se soumettre aux apparences. Elle est l’intelligence ordonnatrice, mais teintée d’un clin d’oeil ésotérique pour ne jamais perdre la liberté du regard.




