Entre frivolité mondaine et sagesse populaire, le Petit Étteilla intrigue depuis plus de deux siècles. Derrière ses airs de jeu de piquet, il dissimule un oracle redoutablement efficace, pensé pour s’auto-interpréter.
Plongée dans l’un des plus anciens jeux divinatoires imprimés de l’histoire.
Un jeu à la croisée des genres
Lorsque Jean-Baptiste Alliette publie en 1770 Manière de se recréer avec un jeu de cartes, il ne propose pas un tarot complexe à 78 lames. Il invente un jeu de 32 cartes, basé sur le jeu de piquet, mais détourné à des fins de divination.
Ce jeu, que l’on nommera plus tard Petit Étteilla, est conçu comme un double : divertissement de salon et outil de lecture symbolique. Pensé pour les milieux cultivés et mondains, il connaît un succès particulier auprès des femmes. À tel point qu’on l’appelle bientôt « l’oracle des dames ».
Un support de lecture accessible
L’un des traits les plus remarquables du Petit Étteilla est sa simplicité. Là où les tarots traditionnels nécessitent une formation symbolique ou ésotérique, ce jeu propose une entrée en matière directe et intuitive.
Chaque carte porte un mot-clé (ou plusieurs), valable à l’endroit et à l’envers. Roi, Dame, As, Sept ou Dix deviennent des symboles incarnés : « Richesse », « Retard », « Hypocrisie », « Fidélité »…
Une face claire, une face trouble.
Exemple : Le 8 de Trèfle signifie « Effet » ou « Indiscrétion ».
Renversée, la même carte évoque « Présent » ou « Jeu » — double lecture qui invite à la prudence dans ses plaisirs ou ses échanges.
Une divination structurée mais libre
Il serait naïf de voir en Alliette un simple occultiste. L’homme est aussi moqueur. Son avertissement au lecteur précise que ce jeu est un amusement frivole, comparable aux oracles des Sybilles.
Mais derrière cette apparente légèreté, il offre les outils d’une lecture sérieuse — sérieuse au sens d’un miroir de soi. En permettant à chacun de « tirer les cartes comme un devin », il désacralise les prétendus pouvoirs magiques… tout en les rendant accessibles.
Un oracle populaire… et ironique ?
Ce que l’on oublie parfois, c’est qu’Étteilla lui-même avertissait contre une lecture trop littérale. Dans son ouvrage « Manière de se recréer », il rappelle que son jeu est un divertissement — un moyen de réflexion, pas un oracle absolu.
Les mots-clés sont là pour ouvrir l’esprit, non pour le figer. Lire une carte Étteilla, c’est accepter d’interpréter, de douter, de sentir.
Héritage et modernité
Le Petit Étteilla a marqué son époque. Il est le premier jeu divinatoire imprimé avec des mots-clés sur les cartes. Son influence se retrouve dans les tarots de salon du XIXe siècle, les oracles à 32 cartes, et jusqu’aux cartomancies modernes.
Son format compact, sa lisibilité, son ton parfois malicieux continuent de séduire. Loin des archétypes trop rigides, il laisse place à une forme de narration intérieure, où le hasard vient révéler des vérités en suspens.
Et si, en le consultant aujourd’hui, vous deveniez à votre tour un peu de ces “dames de l’oracle” du XVIIIe siècle ?